Classes moyennes en Afrique,quels visages?

Article : Classes moyennes en Afrique,quels visages?
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18 février 2013

Classes moyennes en Afrique,quels visages?

La réponse à une telle question n’est pas aisée tant le concept de classes moyennes est difficile à cerner. Qui fait partie de la classe moyenne ? Déjà, à l’école primaire, mon père m’avait  répondu que nous (notre famille) étions «au milieu». Où  se situait le « milieu » à la fin des années 1990 ? Concrètement, on mangeait à notre faim 3 fois par jour, nous (ma fratrie) étions scolarisés dans des écoles privées catholiques et avions  accès à la mutuelle des fonctionnaires  pour se soigner de façon acceptable  . A la maison, nous avions un frigo, une télé (seulement la chaîne nationale, l’abonnement Canal+ étant trop chère pour papa). Comme jouets, on avait des bicyclettes (les fameux BMX, vous vous en souvenez certainement), pas de consoles de jeux (les jeux électroniques chinois oui) encore trop chères pour papa.
Bref, tout juste le modeste train de vie que le seul salaire de mon père maintenait au sein d’une famille plus que nucléaire! Avec du recul, être « au milieu », c’était faire partie de la strate inférieure de la classe moyenne ivoirienne, une strate constituée largement d’agents de la fonction publique entre autre, enseignants, militaires, policiers…

Quid de la classe moyenne supérieure ? Ces familles qui avaient un niveau de vie un peu plus au dessus du nôtre. Mon cousin Aziz en faisait partie. Il habitait au quartier résidentiel, son père était pharmacien. Ma tante, la mère d’Aziz était infirmière et incitait la mienne à suivre des cours d’alphabétisation. Aziz avait une console de jeu Playstation et c’est lui qui m’avait dit que son père avait installé dans leur salon un ordinateur comme celui de  la secrétaire  de  notre collège. Les lundis, lui et Diaby ,mon voisin de classe dont le père était un commerçant grossiste de riz,  me racontaient  les exploits d’Okocha au PSG et  de Georges Weah au Milan AC. Ils avaient vu ces images au cours de leur émission préférée « l’équipe du dimanche » sur Canal +. Moi, j’attendais plutôt lundi soir l’émission « télésport » qu’animait le journaliste Brou Aka Pascal sur RTI (Radio Télédiffusion Ivoirienne), la chaîne des grands énervements d’alors.

Un peu plus d’une décennie plus tard, les lignes avaient bougées diversement pour les uns et les autres . Pour nous , la situation n’avait pas tellement changée. Mon père était certes devenu inspecteur dans son service mais les bénéfices d’une telle promotion ont très vite servi à financer nos  études supérieures, cette foi-çi à l’université publique, les  facs privées même confessionnelles étant hors de portée. Maman avait bien entamé une activité florissante de vente de vivriers avant que Grand-mère n’emporte avec elle dans la tombe la totalité du fond de commerce lors des funérailles qui ont succédées à son décès. Quant à Aziz, il poursuit des études d’informatique en Inde. Leur maison est devenue si morose que maman plaisantait avec ma tante sur l’idée de mettre en route une petite sœur à Aziz. Diaby tente de moderniser la comptabilité et le contrôle de gestion de l’entreprise de son père après avoir eu son BTS. Il a épousé, il y’a quelques mois, une des filles de « clairecity » (c’est le surnom que mes amis et moi avions trouvé à une famille dont les filles avaient la particularité d’être toutes de teint clair). L’imam le cite en exemple tout le temps en  exhortant les autres jeunes célibataires du quartier à sortir du péché ! De temps en temps, il  me permet d’échapper au supplice des bus bondées de la SOTRA (Société des transports abidjanais) en me déposant non loin du campus à bord de sa voiture.

Mais des changements extraordinaires s’étaient opérés pour certains. Mon oncle Soro était un ‘dozo’ (chasseur traditionnel du nord de la Côte D’ivoire). Il s’était fait enrôlé dans la rébellion qui avait éclaté en 2002. Son niveau CEPE (Certificat d’études primaires ) lui avait permit de devenir chef de guerre et de profiter ainsi des rentes d’une telle situation. A Korhogo, il  avait construit une grande bâtisse au secteur « milliardaire », le quartier des nouveaux riches. Nos voisins, les Lébri, avaient aussi emménagés dans un quartier similaire. Papa disait que Mr Lébri était devenu « un refondateur », il avait eu une promotion importante dans l’administration. Au quartier, le bruit courait que c’est lui qui avait offert une rav 4 à Aicha, une des filles de « Clairecity ». Après la crise post-électorale, nous avions appris qu’il était au Ghana avec sa famille.

Vous constatez avec moi que  la succession de crises militaro-politiques a eu des conséquences notables sur la classe moyenne ivoirienne. Une minorité de famille ont gouté pendant un certain temps aux délices de la classe moyenne supérieure tandis que la majorité des familles issues de la classe moyenne inférieure a vu son ascension sociale ralentir nettement. Et la conférence à laquelle j’ai participé ce vendredi à l’institut français d’Abidjan tentait d’établir un tel constat à l’échelle africaine. Organisée par la revue Afrique Contemporaine en collaboration avec l’AFD, elle a réuni un panel de cinq intervenants.

une vue des intervenants à la fin de la conférence

Le modérateur Jean Bernard Veron soulignait d’entrée que le regain d’intérêt pour la classe moyenne africaine procède du nouvel afro-optimisme, se nourrissant des taux de croissance économique enviables des pays africains. Si elle existe bel et bien comme l’attestait Mr Pierre Jacquemot, la classe moyenne en Afrique, celle des ‘ni…ni’ (ni pauvre, ni riche), présente des spécificités propres. Selon la BAD, la classe moyenne en Afrique dispose d’au moins 2$ par jour. Elle se caractériserait essentiellement par des comportements différents du reste de la société . On a un style vestimentaire particulier tourné vers les tendances occidentales, des modes de consommation du même ordre et un niveau d’insatisfaction visible. Par ailleurs, ces familles ont pris conscience du rôle de l’éducation dans la pérennisation de leur situation et de celle de leur progéniture. C’est ce qui explique des niveaux de dépenses élevés en éducation mais aussi en termes de santé. La classe moyenne en Afrique, c’est aussi une démarche d’émancipation vis-à-vis des pesanteurs socio-culturelles en Afrique. Le stress des jeunes cadres ‘dynamiques’, tiraillés entre les sollicitations sociales nombreuses et leur aspiration à maintenir un niveau acceptable, est patent. Cette situation a été identifiée comme l’une des raisons de la montée des pathologies cardiaques en Afrique. Dans un tel contexte, le  Pr Keho Yaya, récent lauréat du prix Abdoulaye Fadiga de la BCEAO,  a  insisté  sur la nécessité d’enquêtes statistiques plus poussées sur la classe moyenne avant toute politique orientée vers cette dernière.

by ink
Pr KEHO en pleine démo

Mais une dernière interrogation persiste à mon esprit. Celle de Comi Toulabor, chercheur  au laboratoire les Afriques dans le monde, et intervenant à la conférence. Qu’est-ce qu’il y a derrière ce regain d’intérêt pour les classes moyennes d’un continent dont on avait estimé la disparition non nuisible au reste du monde ? A la recherche de nouveaux marchés, les  puissants  lobby des firmes occidentales ne tentent-ils pas d’induire certains comportements de consommation aux millions d’individus décrétés  « moyen » du jour au lendemain ?

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Commentaires

Nchare Karim
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Un très bon article, le côté narratif est très intéressant mais un petit bémol, parfois on arrive plus à suivre le lien entre la famille du narrateur, la classe moyenne et les nombreuses anecdotes. Personnellement je suis en train de pencher sur un projet qui vise notamment à dénoncer cette ruée vers la classe moyenne qui n'est là que pour encourager d'avantage d'égoisme et d'individualisme et qui risque de détruire la valeur du capital social si chère à l'Afrique et qui me tient particulièrement à coeur.

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Ahomlanto Sènou Eric Brice
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La solidarité qu' on le veuille où non est à préserver.Elle continue d' être une valeur même
si trop de sentimentalisme nous joue de tour.Il y en a qui resteront fidèles à leurs habitudes : ils sont des victimes où ils savent ce qu' est l' injustice humaine et ils sont prudents : on ne peut pas leur en vouloir toutefois il seraît bon de les sensibiliser pour réduire les maux qui minent les sociétés.