Affaire « femme, chef de famille » en Côte D’Ivoire: retour sur une histoire de milliards !
Je m’en doutais bien. J’en avais même fait le pari avec un ami. Ma petite expérience du Gondwana m’avait conduit à la bonne hypothèse. Il s’agissait bien de gros sous à tel point que le « prési choco » avait tôt fait de dégainer pour siffler la fin de la récré. Sous les tropiques et pas seulement ici, Droit et Argent cheminent bien souvent ensemble. Ne vous en faites pas, je ne vous ennuierai pas avec une histoire de corruption, j’ai décidé de ne plus décrier un comportement devenu rationnel !
Et oui, corrompre aujourd’hui à Abidjan permet de maximiser le bien être de tous les protagonistes. Du policier préparant son week-end aux protagonistes d’une queue de poisson pressés d’éviter le constat en passant par les autres usagers de la route incitant les infortunés du jour à « s’arranger », tout le monde y tire son compte. Je vous parle plutôt d’une acrobatie juridique, marque déposée des contrées du Gondwana, soudainement agiles et souples pour l’occasion. En effet, il y’a quelques semaines, cette histoire avait défrayée la chronique, fait les gros titres des journaux et provoqué la réaction non moins remarquée de nos religieux.
J’avais reçu un après –midi le SMS suivant d’un ami : « djo, on dit que ton prési dit que je ne suis plus le chef de famille ! ». Je me rappelle encore de la Une du journal satirique GBICH présentant une caricature du prési choco, un enfant au dos et sous le regard insistant de la « première femme », traduisant ainsi le sentiment populaire. La rue abidjanaise avait vu dans ce projet de loi sur la famille une véritable atteinte aux valeurs culturelles du pays. La loi a été finalement votée emportant au passage le premier ministre d’alors et son gouvernement.
Ce vendredi, j’ai eu l’occasion de conforter mon analyse sur la question au cours de la conférence animée par Mme Affousiata Bamba, ministre de la Communication et ex-présidente de la Commission des Affaires générales de l’Assemblée nationale, commission qui avait défendu le projet de loi. Comme pour répondre à la polémique, l’honorable a d’emblée précisé que la nouvelle loi sur la famille ne niait pas le rôle de chef de famille dévolu au mari. Elle a ensuite rappelé que cette loi ne faisait que s’inscrire dans le processus de ratification de la convention sur les droits des femmes que l’Etat ivoirien avait signée à la fin des années 1990. Ainsi la nouvelle loi assurerait une nouvelle dignité à la femme ivoirienne. Mais la ministre concède, et c’est là que les choses deviennent intéressantes, que l’adoption de cette loi permettrait au pays d’accéder à une manne d’environ 100 milliards de FCFA et ce, dans le cadre du Millenium Challenge Account, un fond de développement bilatérale initié par le président Bush en 2004.
J’ai lu sur internet que ce fond a pour objectif de promouvoir la croissance économique dans les pays pauvres sélectionnés suivant une dizaine de critères mesurant l’efficacité de l’économie en termes de justice, d’équité, d’investissement en capital humain et de promotion d’entrepreneuriat. Vous n’êtes pas dupes, les états philanthropes n’existent pas. Vous vous demandez bien quelle est l’intérêt du Sénat américain à creuser davantage le déficit budgétaire américain avec au passage un accroissement de sa dépendance vis-à-vis de la Chine, détenteur principal des bons du trésor américain. Mme la ministre a assuré, démagogie oblige, qu’il s’agissait d’un don et rien de plus. A la réalité, l’analyse des critères de sélection montre bien un biais en faveur des principes de libre marché. En clair, les conservateurs américains ont décidé d’assurer, à travers des financements importants, un environnement des affaires favorable à leurs entreprises en quête de nouveaux marchés dans les pays pauvres. Un peu comme les APE (Accords de politiques économique) entre l’Union Européenne et les pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) qui avaient tant fait jasé, mais cette fois dans les milieux universitaires. La raison principale de cette pirouette juridique était donc la mise en place des conditions favorables à la pluie des milliards! Sinon, comment comprendre que la nouvelle loi remplace la mention de l’époux comme chef de famille par la phrase laconique suivante : la direction morale et matérielle du foyer est du ressort des conjoints. On bascule alors en philosophie pour se demander si l’on peut diriger à deux ou à plusieurs (polygamie oblige) ou encore si le pouvoir peut s’exercer conjointement. Ou de façon terre à terre y a-t-il plus d’un capitaine à bord d’un bateau ? Mon frère cadet qui a comme roman de chevet L’île au trésor de Stevenson, vous dira que même chez les pirates, il n’y’a qu’un seul capitaine ayant la charge de la direction du navire !
PS : La pluie des milliards ne nous a pas encore mouillée et mon père est toujours le chef de la famille !
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